Féerie pour une autre fois

vlcsnap-2015-09-01-23h45m40s329Comment imaginez-vous un hôpital ? Un monde aseptisé ? Une chaumière où l’on reprend des forces, dorloté par des fées au pouvoir de guérison ?

Port-au-Prince. Rue Saint-Honoré, à deux pas du Palais national, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) est un triste exemple d’établissement sanitaire. Le genre d’endroit, me dis-je, où l’on risque de contracter un dangereux microbe avant de voir une blouse blanche se pencher sur son cas.

Service des urgences, lundi 31 août, 11 heures et des poussières. Beaucoup de poussière.

En guise d’étendard, un large panneau surplombe la cour de l’hôpital. Il dresse la liste des différents services censés être assurés par l’institution. Chirurgie et oto-rhino-laryngologie entre autres. Et morgue.

Fatra et gardiens comme maîtres d’hôtel

Sur le pas de la porte, quelques planches en bois brut ou en fer forgé servent de rampe de fortune pour d’éventuelles arrivées de patients sur roulettes. Un conteneur plein à ras bord et sans couvercle se tient devant le bâtiment. Des mouches font leur festin du fatra (ordures en créole) lorsqu’un jeune homme s’approche pour vomir dans un coin. Longuement. Une jeune fille le réconforte tant bien que mal. Hélée par quelques mères de famille qui patientent plus loin, la demoiselle se décide à employer le sachet d’eau minérale qu’elle tient en main. Entre ses canines, elle perce le petit paquet de Pino Eau nationale pour en verser le contenu sur la tête du jeune fébrile.

L’agent de sécurité assure l’accueil lui-même, moyennant un bakchich.

Une fois le seuil passé, c’est un gardien qui se présente face au visiteur. Faute de personnel médical disponible, l’agent de sécurité assure souvent lui-même l’accueil des patients, moyennant un bakchich.

Plus loin, un adolescent gît sur le sol. Ses deux béquilles sont les seules présences à son chevet. L’une de ses cuisses a triplé de volume. Il affirme attendre le retour d’un ami parti chercher un document à l’hôpital militaire, depuis 8 heures du matin. Plus tard, le gardien rectifie le témoignage du garçon. En fait, celui-ci attend depuis 6 heures. „Il n’a plus toute sa tête“, nous confie l’agent de sécurité. Dans le même couloir, derrière la vitre de ce qui pourrait bien être une „réception“, du personnel paraît affairé. Mais personne ne se préoccupe de notre jeune handicapé.

L’épreuve du temps

Dans une autre pièce, un père de famille subit lui aussi l’épreuve du temps. Allongé sur une table en bois, il a passé la matinée à espérer qu’on le soulage d’un abcès anal. Un cas de moindre urgence que celui du blessé par balle que l’on entend hurler depuis le bloc opératoire. Au moins, son épouse et son fils sont là pour partager sa douleur et sa frustration.

Partout, la poussière a pris ses quartiers. À croire qu’elle tient un rôle dans l’hôpital. Même si l’établissement a davantage l’air d’une usine désaffectée. Des câbles électriques nus sortent ici ou là d’un mur ou d’un appareil hors d’usage. Tel ce climatiseur explosé, les fils à l’air comme un soldat qui, touché par un obus, perd ses tripes au champ de bataille.

Devant la salle de chirurgie, une jeune médecin nous explique que deux internes et deux médecins résidents se partagent en garde alternée le service des urgences, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce qu’elle estime être suffisant. Un infirmier passe, une blouse plus très blanche sur le dos. Au comptoir central, deux femmes médecin d’une blancheur aspirine qu’on rencontre dans les pays nord-européens se tiennent debout. Et contrastent avec cet océan de misère et d’insalubrité.

Plus de gardiens que de médecins

Dans la salle principale des urgences, un spectacle désolant s’offre à l’œil impudique du visiteur. Une vingtaine de lits sont occupés par des patients, sans la moindre intimité. Une seule chaise sert de brancard et fait la navette entre la cour de l’hôpital et cette pièce macabre. Lorsqu’elle est disponible. Et quand des bras vigoureux le sont aussi pour la porter.

Au final, je compte plus d’agents de sécurité que de personnel soignant. Si les gardiens sont occupés à transporter blessés et malades, qui veille à la sécurité de ce monde en disgrâce ? Pas sûr que la pancarte interdisant les armes à l’entrée de l’hôpital suffise à dissuader le quidam mal intentionné. Et je repense au patient qui a pris un projectile. Dieu lui vienne en aide.

Youri Hanne

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