La terre magique des paysans de Léogâne

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Le charbon donne sa couleur foncée à la terra preta (Photos Elena Sartorius)

Au-dessus de Léogâne, les champs reprennent vie après Matthew grâce à la terra preta, une pratique agricole d’origine pré-colombienne. Surpris par la fertilité nouvelle de leurs sols, les paysans haïtiens l’ont surnommée la  « terre miracle ». Les premières récoltes de légumes ont commencé, elles permettront à 500 familles de se nourrir en attendant le retour des bananes, du maïs et des autres céréales l’année prochaine. Un programme soutenu par la Croix-Rouge suisse.

Evale Guetchine Jean est un étudiant en agronomie pas comme les autres. « J’étudie le week-end, dévoile-t-il, car durant la semaine, je travaille avec les paysans. » Il enfourche sa moto et grimpe dans les mornes dans les hauteurs de Léogâne pour rendre visite aux familles affectées par Matthew. Il suit l’avancement de leurs jardins, et au besoin, distribue semences et conseils. « Avec la terra preta, leurs récoltes sont trois à quatre fois plus abondantes qu’avec les techniques habituelles », affirme-t-il. « En plus, elle résiste mieux aux inondations et à la sécheresse et permet de faire plusieurs récoltes sans apports d’engrais et de compost. »

La terra preta, « terre noire » en portugais, est une terre que l’on trouve en Amazonie. Elle y aurait été créée par les peuples pré-colombiens, il y a plus de mille ans. Elle doit son nom au charbon qui la compose et contribue à sa fertilité. Remise au goût du jour, elle peut être reproduite localement et permet d’enrichir des sols pauvres durablement avec des matériaux entièrement naturels: en plus du charbon, elle contient aussi du bois mort, des restes de jardin et de cuisine, des cendres et des excréments d’animaux.  Technique rapide, elle permet de replanter les plantules deux semaines seulement après avoir préparé les sols.

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Le cyclone Matthew a décimé les arbres fruitiers. Ici, des arbustes de manguier sont prêts à être replantés.

En Haïti, elle a permis à 500 familles de paysans de faire repousser très vite des légumes après Matthew. « En ce moment, nous récoltons des épinards, des tomates et des piments, nous n’avons plus besoin de les acheter au marché», témoigne Sentinée Manette. Un peu plus loin, Pierre Francis Joseph nous emmène avec son épouse derrière sa maison au toit fraîchement retapé. « La Croix-Rouge suisse nous a donné des semences de légumes et des outils », explique-t-il. « Ils nous ont offert une formation et un de leurs agronomes vient régulièrement faire le suivi. En plus, ils nous donnent un plat chaud quand nous travaillons. » Il raconte que son jardin a été très affecté, mais que les structures créées avant le cyclone avec la terra preta se sont révélées plus résistantes que les autres. Les billons, ou petites buttes, en forme de L, sont disposées de sorte que l’eau puisse s’infiltrer dans le sol ou se frayer un passage entre elles, évitant ainsi l’érosion.

Ces membres d’organisations communautaires de base (OCB) ont été formés par la Croix-Rouge suisse, qui soutient la création de jardins améliorés dans la région depuis trois ans. Aujourd’hui les avantages paraissent évidents, pourtant il n’a pas été facile d’introduire cette nouvelle technique et de sensibiliser les familles à l’importance de protéger les sols. « Les paysans sont comme des St Thomas, plaisante Evale, ils ont besoin de voir pour croire. Nous avons eu des discussions pendant au moins une année. » C’est la preuve par l’exemple qui les a convaincus.  « Nous avons cultivé côte à côte des parcelles habituelles et d’autres avec la terra preta. Quand ils ont vu la différence, sourit l’étudiant en agronomie, ça les a motivés à adopter la technique améliorée. A présent nous avons des listes d’attente. »  

Un autre petit miracle, c’est que ce projet ne profite pas seulement aux bénéficiaires initiaux. En traversant ces sections communales, nous apercevons des piquets et des cordes autour de sols fraîchement creusés. « Mon fils a vu comment l’OCB voisine s’y est prise, et il essaie de faire la même chose », raconte avec fierté Saincia, qui coiffe sa fille sous le porche de sa maison. « Je reviendrai demain lui apporter des semences », promet Evale, qui souhaite encourager ce genre d’initiatives. « Dans ces communautés, il y a une vraie solidarité », ajoute-t-il. « Une fois formés, les paysans sont non seulement capables de faire leur propre jardin, mais ils aident aussi les autres à produire. »

Usvel Lestay a refait seul deux jardins. "Tant qu'il y a de la terre, il y a du travail."
Usvel Lestay a refait seul deux jardins. „Tant qu’il y a de la terre, il y a du travail.“

Certains voisins ont approché la Croix-Rouge directement pour qu’elle les aide à appliquer la technique dans leur champ. C’est le cas d’Usvel Lestay, un paysan à la barbe blanche et à la chemise à carreaux déchirée. « J’avais beaucoup d’arbres de papaye et de banane, le cyclone les a tous fait tomber. Heureusement, il n’y a eu aucun mort ici, grâce au travail de sensibilisation de la Croix-Rouge. » Il a pu sauver quelques petits arbustes, les a retaillés et replantés. Très travailleur, il s’occupe seul de deux jardins entièrement refaits.  Il est de retour en Haïti après 37 ans passés en République Dominicaine. « Je voulais revenir dans le pays où je suis né », explique-t-il simplement. J’apprends  à mes enfants à travailler la terre. Il y a plein de jeunes ici qui ne font rien, ils veulent juste jouer et voler. Moi je ne sais pas voler, mais je connais beaucoup de façons de travailler pour vivre. Et tant qu’il y a de la terre, il y a du travail.»

Suite au succès du programme de terra preta à Léogâne, la Croix-Rouge suisse prévoit d’officialiser la technique avec le Ministère de l’agriculture. La « terre magique » est en effet un moyen simple, bon marché et efficace pour permettre aux paysans haïtiens non seulement de rebondir après Matthew, mais également de prendre leur destin en main.

Elena Sartorius

Cet article a été publié dans Le Nouvelliste, Haïti

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