Le Nicaragua asséché par «El Niño»

Infrastructures sous pression
Les intempéries ont mis les digues sous forte pression. ©Adrià Budry Carbó

La production agricole est menacée par les sécheresses à répétition. La coopération suisse investit 3,6 millions de francs dans la région la plus affectée par le changement climatique

Sur la route de San Lucas, les séquelles des intempéries de la veille sont encore visibles. Pierres, végétation et mottes de terre jonchent le revêtement goudronné, posé il y a un peu moins d’un an. Les terres brûlées de cette région du nord du Nicaragua – à 227 km de la capitale Managua – n’avaient pas vu de pluie depuis des semaines. En l’espace de cinq heures, 206 millimètres d’eau sont tombés: l’équivalent d’un mois d’intempéries. Les torrents ont emporté cultures et digues sur leur passage.

Pénuries alimentaires

Elvir Pérez Sánchez est catastrophé par le déchaînement des éléments. D’une voix monocorde, cet agriculteur du département de Madriz liste les cultures affectées. Parmi elles: le café – spécialité de la région – qui avait jusqu’à présent souffert du manque d’eau. «Il ne reste plus qu’un mois avant la récolte et ce qui n’a pas été détruit par le déluge ne recevra pas assez d’eau pour mûrir. L’année dernière, la production avait déjà été gâchée par la sécheresse.»

Au Nicaragua, les précipitations ont diminué de 50%, par rapport aux précédentes saisons de pluie. Il s’agit de la pire sécheresse en trente-deux ans, selon les statistiques gouvernementales. L’installation du phénomène météorologique «El Niño» promet de bouleverser un peu plus le climat. L’épisode actuel, qui doit encore gagner en intensité d’ici à la fin de l’année, pourrait être l’un des plus forts observés depuis 1950.

Pour la famille d’Elvir, comme pour des milliers d’autres de la région du «Corridor sec» (qui regroupe les départements de Nueva Segovia, Madriz et Esteli), l’année à venir s’annonce difficile. Cette zone septentrionale, qui génère quelque 30% de la production agricole du pays, est la plus affectée par le changement climatique. Cette année, la sécheresse pourrait causer 50 millions de dollars de pertes dans la plus petite économie d’Amérique centrale, estime l’Union des producteurs agricoles du Nicaragua (Upanic).

Déluge
La région du „Corrido sec“ est la plus affectée par le changement climatique. ©Adrià Budry Carbó

Dans le pays, on ne parle désormais plus que des pénuries de maïs et de haricots et des spéculateurs qui en profitent. Selon la faîtière des producteurs, le prix de la livre de viande est surévalué de 43%. Caritas estime que plus de 65 000 personnes souffrent actuellement de la faim en raison de la perte des récoltes et a demandé au gouvernement de Daniel Ortega de déclarer l’état d’urgence dans le «Corridor sec». Début septembre, les rations servies aux enfants dans les écoles avaient pourtant déjà été doublées et des paquets alimentaires sont régulièrement envoyés dans le nord du pays.

Coopération suisse

Dans le «Corridor sec», la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) gère, conjointement avec les autorités nicaraguayennes et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), un programme d’adaptation et de réduction des risques liés au changement climatique. Une thématique qui est devenue «une priorité depuis 2013», comme le confirme Fabrizio Poretti, responsable de l’aide humanitaire de la DDC en Amérique centrale. Plusieurs écoles agricoles ont ainsi été inaugurées afin de favoriser l’échange de bonnes pratiques entre paysans et lutter contre la déforestation et la monoculture.

En tout, la DDC aura investi – entre 2011 et 2016 – 3,6 millions de francs pour construire des digues, des citernes et des réservoirs communautaires. La cour d’Alba Nubia Torres a été équipée d’une géo-membrane il y a quatre mois. Reliée au toit par un système de tubes, la poche en plastique de 48 000 litres peut stocker l’eau de pluie qui tombe sur sa maison. Le liquide est filtré par des petites pierres avant d’être disponible pour la consommation ou pour irriguer les quelques cultures de cette mère de famille.

Equipement
La cour d’Alba Nubia Torres a été équipée d’une géo-membrane afin de collecter l’eau de pluie. ©Adrià Budry Carbó

Exode

Dans la région, la sécheresse a poussé beaucoup de paysans à migrer vers les pôles urbains. Souvent en laissant femmes et enfants derrière eux. Pour Omar Jiménez, responsable technique de ces microprojets aquifères, le programme va bien au-delà de l’agriculture: «Il s’agit de rendre cette région de nouveau habitable. De lui redonner un futur.» Selon l’Indice de risque climatique 2015, le Nicaragua est l’un des quatre pays les plus vulnérables du monde. L’agriculture y représente 20,5% du PIB national.

Une version de cet article a été publiée dans Le Temps le 28 octobre 2015

Adrià Budry Carbó

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