Quand le créole parle de son pays

Lorsqu’il y a trop de stress, d’émotions, de problèmes, et que la tête nous tourne, les Haïtiens résument la situation en disant «Tèt charje», tête chargée, en mimant la fatigue en prenant leurs tempes entre leurs doigts.

«Tu sais ce que veut dire Tòl wouj», rit ma collègue un jour que nous parcourons la ville dans la voiture de la radio.  «Tôle rouge ?» – «Oui ! Comme ça, comme ça, comme ça», poursuit-elle en désignant les innombrables barrières métalliques rouges qui ferment l’accès au chantier des bâtiments de l’Etat détruits par le tremblement de terre de 2010. Le tremblement de terre, le «goudougoudou» (évocation du bruit entendu durant les terrifiques 37 secondes) dont on préfère évoquer la date, moins douloureuse, en parlant du «12 janvier».

«Tòl wouj». Je cherche en vain. «Ca veut dire : Menteur ! L’Etat met des tôles rouges et dit qu’il fait des travaux alors qu’il ne les fait pas. Rien que des discours, pas d’action.»

La voiture qui nous mène à nos diverses conférences de presse et lieux de reportage est un espace de récréation. On s’entasse entre collègues et on rigole. Ça parle souvent de sexe, qui n’est pas un sujet tabou ; l’homosexualité mis à part. Son champ lexical fleurit en témoigne…

Entre trois éclats de rire, on m’apprend que les filles ont un «coco» et les garçons un «zozo» voire un «zozo rèd». Nouveaux éclats de rire. Ma collègue devient soudain sérieuse : «On t’as déjà appelée Ti Mamoun ? Si on te dit wana tu frappes!» Ces deux termes qualifient la femme facile, celle qui aime séduire, qui se laisse faire, à n’importe quel prix. Le deuxième terme est pire que le premier, mais chacun est également rabaissant. Un collègue du Nouvelliste résume: «Le thème Ti Mamoun et ses équivalents traduisent une liberté machiste et incarnent clairement la vulgarisation d’une perversion qui poursuit son petit bonhomme de chemin dans notre société.» Deux tubes ont contribué à leur vulgarisation ces dernières années. «Ti Mamoun» de J-Vens et ses nombreux remix ainsi que le très polémique (et extrêmement vulgaire) «Fè wana mache» (baise-la) de Mossanto, interdit par les autorités.

Le NouvellisteIci, je suis un «piti Blan» (petit blanc) et je reste une jeune femme. Les allusions sexuelles sont fréquentes, mais se résument à des «J’aime ta couleur !» ou à l’imitation d’un baiser suave qu’un homme donne à ses doigts. L’autre jour, en attendant dans un couloir avec d’autres journalistes, un confrère s’est tourné vers moi : «Tu sais ce que vient de me dire celui qui est passé ? Il m’a demandé si j’avais vanje laras – venger la race. Tu comprends ?». «Non… » «Bon, toi tu es suisse alors je lui ai dit que c’était pas possible, mais si tu étais Française, ça serait différent. Quand on courtise une Française pour gagner son cœur et avoir l’opportunité de passer du bon temps avec elle, on dit qu’on venge la race ; parce qu’on se venge de la colonisation.»

Quand le ventre crie famine? C’est le «grangrou» (la faim), un mot dont personne ne sait expliquer l’origine étymologique. Les références historiques sont nombreuses – «Nèg sa a, se yon èsde», entend-on pour qualifier un fouineur – en référence au S.D, le Service de Dépistage, la police politique des Duvalier. Il y a aussi les citations sportives: «Ou komense Diego», tu commences fort en référence à Diego Maradona. Et tant d’autres expressions qui décrivent mieux que n’importe quel guide le passé, le quotidien et les préoccupations des Haïtiens.

Pour encore plus d’expressions en créole: http://www.potomitan.info/vedrine/lexique_index.php

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