Des milliers d’apatrides dans la tourmente

En septembre 2013, la République dominicaine décidait de déchoir de leur nationalité des milliers de ses citoyens d’ascendance haïtienne et de les expulser de son territoire.

Frontière haïtiano-dominicaine © Thibaut Monnier
Frontière haïtiano-dominicaine © Thibaut Monnier

Le Groupe d’Appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) a commémoré ce mercredi le deuxième anniversaire de l’arrêt de la Cour constitutionnelle dominicaine dénationalisant des milliers de descendants d’Haïtiens. A cette occasion, la plateforme a organisé une rencontre autour du thème: République dominicaine et sa politique migratoire anti-haïtienne, quel avenir pour les victimes?

«Une journée de la honte», commente Jean Robert Argand, coordonnateur du Collectif du 4 décembre 2013, qui soutient les Haïtiens de République dominicaine.

Froideur juridique

En mai 2014, face aux pressions internationales, notamment celle exercée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, le Congrès dominicain a adopté la loi 169-14 visant à contrebalancer les effets de l’arrêt constitutionnel. Un arrêt statuant que les enfants nés de parents étrangers en République dominicaine doivent être déchus de la nationalité dominicaine. Une décision rétroactive qui concerne tous les ressortissants dominicains d’ascendance haïtienne établis dans le pays depuis 1929. Soit environ 200 000 personnes.

Pour les Haïtiens demandant à être naturalisés, la loi prévoyait un délai de 90 jours, renouvelé une fois mais largement insuffisant. Dans son rapport de juillet 2015, Amnesty International fait état d’innombrables obstacles bureaucratiques et procéduriers sur la route des Haïtiens domiciliés en république dominicaine et de fait, incapables de renouveler leurs papiers d’identité.

Les expulsions ont repris en août dernier après un moratoire de plusieurs mois des autorités dominicaines. Les estimations varient entre 80 000 et 90 000 personnes rapatriées depuis septembre 2013. Selon les organismes de défense des droits humains, ce chiffre pourrait largement enfler dans les mois à venir.

Jenny Carolina Moron, représentante du Mouvement des femmes dominicano-haïtiennes (MUDHA), prévient: «Si la société civile et les organismes de droits humains ne restent pas alertes, la période des fêtes de fin d’année sera du pain bénit pour les autorités dominicaines.» On dépasserait alors allègrement les 100 000 expulsions.

Apatrides laissés pour compte

«Les autorités dominicaines sont très malignes, elles expulsent les apatrides par groupes de trente à cinquante personnes. Difficile dès lors d’effectuer un décompte précis», explique Philipe Jean Thomas, président du Conseil d’Administration du GARR. Des avancées ont tout de même été enregistrées dans ce sens. Les organismes de défense des droits humains ont notamment obtenu que la Chancellerie haïtienne soit notifiée des expulsions d’apatrides vers Haïti.

«Dans la poussière et le désespoir»

Une fois passées de l’autre côté de la frontière, des centaines de familles doivent être relogées. Revenues de force ou de gré —en anticipant des expulsions musclées—, ces familles sont livrées à elles-mêmes la plupart du temps. A Anse-à-Pitres, par exemple, commune frontalière du sud-est du pays, où leurs conditions de vie sont exécrables. Dans des taudis où bâches et cartons s’entremêlent «dans la poussière et le désespoir» et dont Le Nouvelliste a fait état[1].

Parfois, un organisme humanitaire distribue des sacs de denrées: du riz, de l’huile, du lait. Conscientes du sort de ces réfugiés, les autorités haïtiennes brillent pourtant par leur absence sur le terrain. Politiquement, la réponse du gouvernement se fait aussi désirer. Malgré une visite de la Première dame du pays, Sophia Martelly en juin dernier, les résidants de ce camp ignorent quand ils pourront retourner vers la société.

Soldat à la frontière © Thibaut Monnier
Soldat à la frontière © Thibaut Monnier

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Des mesures protectionnistes pour soutenir l’industrie haïtienne

A partir du 1er octobre prochain, 23 produits dominicains seront interdits à l’importation par voie terrestre en Haïti. Cette décision vise à assurer un meilleur contrôle de la qualité et la sécurité de la population, en limitant la contrebande, explique un communiqué du Ministère de l’Economie et des Finances. La farine de froment, le savon de lessive ou encore l’eau minérale sont concernés. Ils ne pourront transiter que par voie aérienne ou maritime.

Difficile, pour l’heure, de prévoir l’impact de cette décision sur la création d’emplois ou une possible montée des prix. Les petits commerçants haïtiens qui se rendent en République dominicaine faire leur marché pourraient payer les pots cassés. «Cette mesure restera en vigueur aussi longtemps que nécessaire» a précisé le ministre Wilson Laleau. De son côté, Saint-Domingue a rappelé son ambassadeur en Haïti pour consultation.

Youri Hanne

[1] Le Nouvelliste, 30 juin 2015.

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