Haïti: Lutter contre le choléra à la source

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L’eau traitée est gardée au frais sous un drap cousu par les femmes du village (photo Elena Sartorius)

Dans le département du Sud, entre Port-Salut et Port-à-Piment, l’aide humanitaire suisse a permis à plus de 100,000 personnes d’avoir accès à une eau non contaminée. L’équipe d’experts quittera prochainement sa base de Port-Salut. Elle a fait don de son matériel aux autorités haïtiennes, afin qu’elles puissent poursuivre la distribution. Retour sur une action efficace pour lutter contre le choléra.

Au marché de Carpentier, une des sections communales de Port-Salut, Miclèse se repose à l’ombre avant d’entreprendre le chemin du retour avec le bidon blanc qu’elle vient de remplir d’eau. Elle est jolie avec sa robe léopard et son chapeau de paille à large bord. « Depuis Matthew, confie-t-elle, je ne peux plus aller la source où je prenais l’eau habituellement, à cause du choléra. »  Elle vient donc jusqu’au marché, où des experts de l’aide humanitaire suisse ont installé une machine pour purifier l’eau.  Stratégiquement placée entre le marché, la rivière et la mer, cette machine fonctionne à l’énergie solaire et fournit de l’eau potable à 1,500 personnes chaque jour. Miclèse habite à deux heures à pied, mais elle avoue avoir gagné du temps : « Avant Matthew, je devais marcher trois heures jusqu’au point d’eau le plus proche. S’ils pouvaient laisser la machine ici pour toujours, souffle-t-elle, ce serait bien. »

Claude Ramseyer, responsable suisse pour l’eau potable et l’assainissement précise qu’il s’agit d’un système à ultrafiltration : « Son filtre très fin permet de retenir les bactéries et les virus». Les pluies torrentielles qui ont accompagné Matthew ont provoqué des inondations et des glissements de terrain, disséminant des matières fécales infectées qui ont contaminé de nombreux puits. L’ouragan a en outre détruit les réseaux d’acheminement d’eau potable. Conséquence : le risque d’une propagation exponentielle de maladies véhiculées par l’eau, en particulier le choléra.  Infection diarrhéique hautement contagieuse, celui-ci peut tuer très rapidement, d’où l’importance de prévenir une possible épidémie. La Suisse a choisi de lutter contre le choléra à la source, en donnant à la population l’accès à une eau non contaminée, en attendant que les réseaux soient réparés.

De l’eau sûre pour les populations sinistrées

Basée à Port-Salut, l’équipe suisse d’urgence s’est attelée à la vérification des sources d’eau et à la distribution d’eau traitée dans une vaste frange côtière allant de Port-Salut à Port-à-Piment. Dans cette zone, la plupart des puits ont été contaminés, comme l’attestent les nombreux petits points bleus sur les échantillons testés par Gabriella Friedl, en charge de la purification et du contrôle de qualité de l’eau. « Nous ne pouvons pas tester le choléra, explique-t-elle, mais ces points bleus signalent la présence d’E. coli, des germes infectieux d’origine fécale. Cela nous indique la possibilité d’une présence de germes de  choléra. »

Echantillons d'eau contaminée avec la bactérie E.coli. Elle signale la présence de matières fécales.
Echantillons d’eau contaminée avec la bactérie E.coli. Elle signale la présence de matières fécales.

La Coopération suisse a également soutenu financièrement la réparation de plusieurs réseaux d’eau, dont celui de Carpentier, par la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA).  Entre l’approvisionnement en eau potable et la distribution de matériel de construction pour réparer les maisons endommagées, elle a consacré 2.5 millions de francs suisses  (à peu près l’équivalent en dollars américains) à l’aide humanitaire d’urgence après l’ouragan.

A Chevalier, Anthony Désir veille sur un « bladder », une citerne ressemblant à un grand matelas gonflable.  Le technicien engagé par la DINEPA avec le soutien de la Suisse, pompe l’eau du puits afin que la citerne soit toujours pleine. Il habite ici avec sa femme et leurs deux enfants. « Toutes les latrines ont été détruites », explique-t-il. « Les gens n’ont pas les moyens de les reconstruire, car ils ont tout perdu. Ils font leurs besoins au bord de la mer, ce qui favorise la propagation du choléra ». Il est également en charge de chlorer l’eau, une autre façon, avec l’ultrafiltration, de se débarrasser des germes pathogènes. Le chlore est produit sur place grâce à un des 40 appareils WATA fournis dans le cadre de l’aide d’urgence.  Les habitants de Chevalier ont aussi trouvé une manière astucieuse de se protéger contre le choléra juste après le passage de Matthew : « Il a beaucoup plu ici, révèle Désir Anthony, alors nous avons récolté l’eau de pluie pour boire. Jusqu’à présent, nous n’avons eu aucun cas de choléra.»  

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L’aide humanitaire suisse a fourni de l’eau potable à plus de 100,000 personnes entre Port-Salut et Port-à-Piment.

Nous continuons le long de la côte. A Damassins, une installation similaire à celle de Chevalier permet à une jeune fille de puiser de l’eau en toute sécurité. Ici, ce n’est pas une bâche bleue qui couvre la citerne pour que l’eau reste fraîche, mais un joli drap rose au motif floral coloré. Claude Ramseyer, affairé à réparer un des quatre robinets qui fuit, nous informe que ce drap a été cousu par une femme de la région. « Nous avons engagé des femmes pour faire ce travail, cela nous permet de participer à l’économie locale tout en ayant plus de bâches disponibles pour remplacer temporairement les toitures détruites. »

Au fur et à mesure que nous avançons vers l’ouest, nous prenons conscience de l’ampleur de la catastrophe. C’est comme si toute cette côte était passée dans une broyeuse. Pas un arbre, pas une maison, pas une église n’a été épargnée.  Partout, des gens en équilibre entre les poutres réparent les charpentes. Le bruit des marteaux est omniprésent.  

Une flambée de choléra à Port-à-Piment après le cyclone

Port-à-Piment, une ville tranquille de 17,000 habitants a été une des plus touchées par le choléra. A l’hôpital, la directrice médicale, Dr Missole Antoine révèle quelques chiffres : « Nous avons eu une flambée de choléra juste après le cyclone : 240 cas, avec des pointes de 30 à 60 cas par jour. Avant, nous en comptions une douzaine par jour. D’autres maladies ont aussi augmenté à cause de Matthew, comme la malaria, la typhoïde et la dysenterie. »

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A la demande de MSF, l’aide suisse d’urgence a fourni de l’eau traitée à l’hôpital de Port-à-Piment après une flambée de choléra.

Un centre de traitement monté par Médecins Sans Frontières dans la cour extérieure de l’hôpital a permis de reprendre le contrôle de la situation. Une tente permet de garder les personnes présentant des symptômes de choléra sous observation, une deuxième sert pour l’hospitalisation des personnes malades. L’accès en est strictement contrôlé.  Le traitement, explique la doctoresse Antoine, consiste à réhydrater les patients. Cela se fait par voie orale ou par intraveineuse, selon la gravité. « En cas de déshydratation sévère, avec diarrhées et vomissements, il faut également traiter les personnes avec des antibiotiques. »  MSF a fait appel à la coopération suisse pour fournir de l’eau traitée à l’hôpital. La Suisse a également collaboré avec d’autres organisations, comme ACTED et Véolia, qui ont fourni les filtres.  

La vaccination ne suffit pas à protéger la population

En annonçant la campagne de vaccination contre le choléra qui a actuellement lieu dans le pays, le Dr Jean-Luc Poncelet, représentant de l’OMS en Haïti, cité par le Nouvelliste, avait averti : « Le vaccin ne peut être efficace tout seul. Il faut qu’il soit accompagné d’autres mesures comme l’accès à l’eau de qualité. » Selon le site de l’organisation, le vaccin n’est en effet efficace qu’à 65%. Une vaccination à plus large échelle lors d’une épidémie peut cependant protéger jusqu’à 86%, comme l’a démontré une étude faite en Guinée en 2014 par Epicentre, un centre de recherché lié à MSF. Le vaccin est donc une mesure utile, mais qui ne protège pas complètement la population contre le choléra. C’est pourquoi le gouvernement haïtien a demandé à la population de suivre scrupuleusement les mesures d’hygiène.

La doctoresse Antoine cite trois gestes importants pour éviter une contamination : 1) boire de l’eau traitée ; 2) se laver les mains après être passé aux toilettes ; 3) bien cuire les  aliments et les couvrir s’ils ne sont pas mangés immédiatement. Elle ajoute que, malheureusement, les personnes les plus à risque sont les plus pauvres, « celles qui n’ont pas les moyens d’acheter de l’eau traitée pour boire et préparer leur nourriture, et qui vivent dans des mauvaises conditions d’hygiène. »

Dans quelques jours, l’aide d’urgence de la Coopération Suisse prendra fin. Entre la vérification de la qualité de l’eau, l’installation de citernes et de stations de potabilisation d’eau, la distribution de pastilles de purification dans les zones plus reculées et le soutien financier à la DINEPA pour les camion-citerne et la réhabilitation des réseaux d’eau, elle aura permis de lutter efficacement contre la propagation du choléra.

Kevin Pagé, administrateur de la DINEPA dans le Sud, estime que cette aide a donné accès à une eau sûre à plus de 100,000 personnes dans les communes de Port-Salut, Roche-à-Bateau, Côteaux et Port-à-Piment. « La Coopération suisse, ajoute-t-il, a fait don à la DINEPA d’une grande quantité de matériel, comme les bladders et les pompes. Nous allons continuer à nous en servir pour faire la distribution d’eau. » A Carpentier, Dales, 11 ans,  a su faire la différence.  « Avant, j’allais puiser l’eau dans la rivière. Mais je préfère l’eau qui a été distribuée grâce à la Suisse. Je peux la boire sans crainte et cuisiner avec, car elle est traitée. »

Elena Sartorius

Cet article a été publié dans Le Nouvelliste, Haïti

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