Sur la piste des projets d’entraide suisse en Haïti

A Léogâne, la Croix-Rouge suisse soutient 500 familles de paysans formées à la technique de la terra preta
Le cyclone Matthew a décimé les cultures. A Léogâne, la Croix-Rouge suisse soutient 500 familles de paysans formées à la technique de la terra preta (photo Elena Sartorius)

Six semaines après le passage de Matthew, la crise est loin d’être terminée pour 1,4 million d’Haïtiens. L’ouragan a affecté tous les aspects de leur vie: logement, travail, alimentation, santé, scolarité. Les appels aux dons en Suisse ont permis de récolter plusieurs millions de francs, dont cinq à travers la Chaîne du Bonheur. A quoi sert cet argent? Aide-t-il vraiment les Haïtiens? Un road trip dans les régions sinistrées nous a permis de constater l’ampleur de la tâche sur le terrain.

Le cauchemar commencé le 4 octobre sur l’île caraïbe est loin d’être fini. Depuis le passage de Matthew, 160 000 personnes vivent dans des abris provisoires. Le choléra tue chaque jour. Plus de 150 000 élèves sont privés d’école. Les jardins potagers qui nourrissaient la population et le bétail qui servait d’épargne sont perdus. Près d’un million de personnes ont dû repartir à zéro.

«Tout est utile»

«A Léogâne, la Mairie est venue nous voir le lendemain du cyclone, raconte François Dessambre, coordinateur de la Croix-Rouge Suisse en Haïti, elle avait besoin d’essence pour ses engins chargés de déblayer les rues.» Sur place depuis le terrible séisme de 2010, l’organisation a pu répondre rapidement avec ses fonds propres. Elle recevra un million de francs pour ses opérations d’urgence, dont la moitié de la Chaîne du Bonheur.
Avant le cyclone, la Croix-Rouge formait les paysans à la «terra preta», technique de fertilisation rapide des sols. Depuis, elle distribue des semences pour éviter une famine. Usvel Lestay, barbe blanche et chemise déchirée, observe son champ. «Vous auriez dû voir avant Matthew, c’était beau.» Des épinards, tomates et haricots refont leur apparition. «Un agronome de la Croix-Rouge me rend visite, ça me donne de la force.» L’organisation distribue aussi des kits de première nécessité et soutient une campagne de sensibilisation contre le choléra. La logistique du mouvement international de la Croix-Rouge engloutit les trois quarts de son budget.

Cabane en bambou

Depuis les Cayes, un 4×4 de Medair nous emmène à Tiburon. Dans cette région ravagée par le cyclone, l’organisation a mis un mois pour acheminer l’aide. Ses priorités: abris et lutte contre le choléra. Souverain Lesage, 63 ans, s’est construit une cabane en bambou. «C’est pas une maison», souffle-t-il. En attendant, la bâche reçue le protège de la pluie et du soleil. «Sur le long terme, affirme Lucy Bamforth, nous soutiendrons la construction de maisons capables de résister au prochain cyclone.»
Ici, le choléra a tué quatre personnes cette semaine. La sœur de Joanne Bélisaire est décédée durant le trajet vers l’hôpital, laissant six orphelins. Roline Nestor écoute les conseils d’hygiène dans un centre médical qui sert d’abri. Elle a reçu un kit avec savon, dentifrice et comprimés pour purifier l’eau. «Tout est utile», assure-t-elle. Medair a demandé 250 000 francs à la Chaîne du Bonheur pour lutter contre le choléra.

«Restaurer la production»

Une piste vertigineuse nous mène aux Irois à moto. De là, nous filons vers le chef-lieu de la Grand’Anse. Sur la route, l’ONU distribue du riz. Rio, agronome haïtien, regrette que certaines personnes raflent plusieurs tickets d’aide alors que d’autres rentrent bredouilles. A Jérémie, la ville la plus affectée, l’équipe de l’Entraide protestante suisse a survécu au cyclone en s’enfermant en pleine nuit dans une salle de bains. «Nous étions sur place pour des projets de développement», explique Franck de Saint Simon, le directeur du bureau. Il a reçu 50 000 francs de l’ambassade de Suisse et 200 000 francs de la Chaîne du Bonheur pour de l’aide d’urgence.
«Nous n’avons pas la capacité de reconstruire tout un département, mais nous appuyons les gens dans les zones où nous travaillions.» L’organisation répare des écoles, distribue des semences et paie les habitants pour le déblaiement de champs et de routes. «L’aide financière directe doit être limitée dans le temps, avertit cependant l’expert, sinon elle détruit les réflexes de survie. Nous préférons restaurer la capacité de production des gens.»

Les ONG manquent d’argent

D’autres partenaires de la Chaîne du Bonheur sont présents en Haïti. Certains déplorent le manque de mobilisation des bailleurs.
«Un mois après le passage de Matthew, nous n’avons reçu que 100 000 euros, constate Hélène Robin, de Handicap International; nous aurions besoin du double. Pour Haiyan, aux Philippines, nous avions récolté la somme en six jours.» L’ONU peine aussi à atteindre ses objectifs. Effet de lassitude envers un pays qui cumule les catastrophes?

Les organisations travaillent dans des conditions difficiles avec les moyens du bord. Elles ont pourtant bien ciblé les besoins en donnant la priorité au logement, à l’eau potable et aux semences. Une manière efficace d’utiliser leurs
ressources. Mais après l’urgence, qui fournira l’eau? Comment la population se nourrira-t-elle jusqu’à la prochaine récolte de bananes, maïs et igname l’été prochain? Qui va aider les Haïtiens à reconstruire les centaines de milliers de maisons et les 500 écoles détruites par Matthew? Les besoins sont immenses.

Elena Sartorius

Cet article a été publié dans la Tribune de Genève

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