Un samedi de funérailles
Vendredi soir, le vent s’est levé, des éclairs ont déchiré le ciel et des cordes de pluie tropicale se sont mises à tomber sur Port-au-Prince. «Quand un homme meurt, et que la pluie tombe pendant sa veillée, c’est que ce n’était pas un homme bon. Duvalier était vraiment un dictateur.» Mon voisin de table me glisse cette phrase puis continue à siroter sa bière. Les funérailles de «Baby Doc» ont lieu samedi matin; elles débutent à l’aube.
Jeudi, on a appris que le gouvernement Martelly avait abandonné la possibilité d’organiser des funérailles nationales. Pendant près de six jours cependant, les autorités ont laissé le doute planer et tout un chacun débattre de la question des obsèques. «Ce n’est pas le nom que l’on enterre, mais la fonction. Tout ancien chef d’Etat a droit à des funérailles nationales», martelaient les uns. «Par respect pour ses victimes, l’Etat doit s’abstenir d’organiser une célébration officielle», priaient les autres.
Lorsque les autorités ont finalement arrêté leur choix, mon jeune collègue Peterson m’a résumé la situation en quelques mots: «Il n’y aura ni funérailles nationales, ni funérailles officielles, mais des funérailles privées afin de ne diviser personne.»
Une seule question restait alors en suspens : qui osera – ou mettra un point d’honneur – à assister à la cérémonie ?
Têtes oubliées, têtes connues
Pour ma part, j’étais curieuse de voir dans quelles conditions se déroulent de telles obsèques. Samedi matin à 7h30, je retrouve un journaliste du quotidien Le Nouvelliste, qui a accepté de me servir de guide, devant l’Eglise du collège Saint-Louis Gonzague, le collège où Jean-Claude Duvalier a étudié. Un lieu sobre, propre, paisible.
A ma surprise, aucun badaud ne rôde autour de l’enseigne du collège, aucune mesure de sécurité particulière n’avait été prise et je pénètre dans l’Eglise sans avoir à présenter ma carte de presse. A l’intérieur, je suis mêlée à une horde de journalistes aux aguets. Mon regard se fixe tantôt le cercueil où a été déposé un drapeau haïtien, tantôt sur les enfants, l’ex-femme ou la femme du défunt, tantôt sur le solennel défilé des invités.
Mon guide m’aide à détecter les têtes connues et se retrouve sollicité par d’autres journalistes. «Ce n’est pas ma génération !», se justifie un trentenaire en riant. Deux anciens chefs d’Etat ont fait le déplacement : Prosper Avril et Boniface Alexandre. On me les pointe du doigts, mais ils se perdent dans la foule des costumes noirs avant que j’aie le temps de les identifier. L’actuel dirigeant, Michel Martelly n’est pas venu, contrairement à son conseiller personnel et à son conseiller spécial – «d’anciens duvalieristes», me souffle-t-on.
L’église se remplit, l’ambiance devient de plus en plus intime et je me sens de moins en moins à ma place. Le journaliste du Nouvelliste est envoyé au sit-in organisé par l’Association Action Citoyenne Responsable. Je saisis l’occasion pour m’y rendre avec lui et pour emprunter, au passage, mon premier «tap-tap» (taxi collectif).
Qui jugera qui?
Devant l’Office de protection des citoyens, baillons sur la bouche, taches de mains ensanglantées sur le corps, une vingtaine de militants ont pris place sur la chaussée. «Donner des coups, tu oublies. Porter des marques, tu te souviens.» Sous l’œil d’un seul policier et d’une foule de passants, ils entonnent des chants et des slogans afin de demander justice pour les victimes du régime de Duvalier. Leurs voix s’emmêlent au vacarme du trafic. «Jean-Claude Duvalier est mort, mais ses partisans et ses milices doivent être jugés, explique Christophe Denis, porte-parole d’Action Citoyenne Responsable. Haïti a le droit à une mémoire.»
De retour à la maison, et au calme, je branche ma radio et écoute les discours officiels prononcés lors des obsèques. L’ami du dictateur défunt, le révérant père Cico, évoque l’homme qu’il a appris «à connaître et à aimer». L’enregistrement grésille, je ne capte pas tout. Le révérant parle des conseils qu’il donna à Jean-Claude Duvalier sur le communisme et sur la paysannerie qui «tient l’économie haïtienne en otage». Un tonnerre d’applaudissements clôt son discours.
Viennent ensuite les questions de Fritz Cinéaste, l’ambassadeur d’Haïti en République dominicaine : «A-t-il trop fait confiance à ses collaborateurs ?» ; «Etait-il davantage préoccupé par les plaisirs de la vie que les affaires du gouvernement ?». Quelque part dans l’assemblée, une femme sanglote à gorge déployée. La réponse de l’ambassadeur arrive aux termes de plusieurs minutes de palabres : «L’Histoire jugera». Nouveau tonnerre d’applaudissement.
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