Vu d’en haut: la mer

La chronique „Vu d’en haut“ raconte les particularités de La Paz, capitale la plus haute du monde. Dans cet épisode, vol de nuit à bord du téléphérique.

Un étrange cortège se presse aux abords de l’immense cube de béton aux nuances verdâtres. Sur la façade, le nom Irpavi émerge dans la nuit. A mesure que je m’en approche, je distingue un bourdonnement toujours plus insistant. Au-dessus de la foule impatiente s’élancent par vagues cadencées les télécabines vers l’obscurité.

„Tarjeta por la derecha, compra de boleto por la izquierda, por favor“ („Carte à droite, achat de billet à gauche, s’il vous plaît“), répète avec un flegme poli une femme en uniforme et képi tentant de mettre un peu d’ordre dans cette agitation. Etourdi par cette effervescence, je comprends ma méprise et me vois contraint de changer de file. Cette scène absurde se répète quelques mètres plus loin ticket en main, avant que je puisse enfin monter à bord.

Le fragile container tressaille à chaque passage de pylône ancré tant bien que mal entre les toits de tôles et les terrains de football. Une pointe de fébrilité me saisit soudain et le nom du fabricant austro-suisse inscrit bien visiblement sur la main courante n’y change rien. Mon sentiment pourrait d’ailleurs aussi bien provoquer l’hilarité ponctuant les murmures des trois adolescents assis en face de moi.

„Un mar para Bolivia“

Je fixe mon regard plus loin dans la vallée qui scintille de milliers de lampadaires orangés. A mes côtés, une petite Aymara accompagnant sa mère semble tout aussi hypnotisée par le survol de cette abîme féerique. La réalité nous rattrape à l’instant où la nacelle s’engouffre dans la froide lumière des néons baignant la station d’arrivée. Suspendues il y a encore quelques minutes au même fil d’acier, nos existences se séparent alors inexorablement.

Au moment de débarquer, un curieux slogan s’étalant en grand sur le pourtour de la cabine m’interpelle: #UnMarParaBolivia („Une mer pour la Bolivie“)*. Quelle lointaine, sinon inaccessible, perspective pour cette jeune fille, tandis qu’elle s’apprête à rejoindre le téléphérique jaune qui la mènera directement à la banlieue d’El Alto („Le Haut“) à plus de 4000 mètres au-dessus du précipice „paceño“!

Durant la vertigineuse ascension, j’imagine ses yeux plonger encore une fois en apnée dans la marée luminescente ondoyant sous ses pieds. Car, dès le lendemain aux premières lueurs matinales, celle-ci se sera évaporée laissant à nu les cruels récifs urbains.

Daniel Gonzalez

 

*La Bolivie a perdu son seul accès à l’océan Pacifique au bénéfice du Chili à l’issue d’une guerre de quatre ans en 1883. Depuis, elle cherche à le récupérer pour des raisons stratégiques et économiques. Le 1er octobre 2018, la Cour internationale de justice a rejeté une demande bolivienne allant dans ce sens. La Bolivie reste donc avec le Paraguay le seul pays du continent américain à ne pas avoir de débouché maritime.

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