Jour de l’Hispanité

Nous sommes le 12 octobre. Il y a un peu plus de cinq siècles, l’expédition menée par Christophe Colomb débarquait dans les Caraïbes et y rencontrait le peuple indigène taïno. Un événement suivi de violentes conquêtes mais qui est également à la genèse d’une communauté hispanophone désormais mondialisée. En Espagne, la date du 12 octobre a été retenue comme „fête nationale et jour de l’Hispanité“. En Amérique latine, l’événement est également célébré… ou commémoré.

Ce lundi, je regarde incrédule les images de la parade militaire défilant le long du passage de la Castellana à Madrid. Étrange, cette démonstration de force identitaire. A quelque 2000 lieues de là, à Managua, mon journal annonce ce jour un peu spécial depuis bientôt une semaine. Même si cette date n’est pas fériée, différents événements sont prévus tout au long de la journée. Dans la rédaction, on prépare un grand buffet canadien. L’un de mes collègues voit dans cette journée un joli symbole: l’occasion de partager un repas avec un Espagnol (mon accent, cet éternel marqueur identitaire…). Il me dévisage de son sourire. Je suis mal à l’aise.

Hispanité

Je n’ai jamais aimé le 12 octobre. J’ai toujours eu du mal à comprendre en quoi le début d’une grande entreprise d’extermination constituait un symbole approprié et mon patriotisme espagnol est pour le moins douteux. Je n’oublie pas non plus que „l’Hispanité“ et ses narratives triomphalistes d’extension de l’empire ibérique ont constitué l’un des piliers idéologiques du franquisme.

Je reviens à moi. Mon collègue, se tient toujours en face, attendant patiemment ma réponse. Je m’en sors par une pirouette: „Bueno, como suizo-catalán, a mí la hispanidad…“ Je m’en tire bien. J’ai réussi à le faire rigoler.

En réalité, en Espagne, le 12 octobre suit aussi les lignes de fracture idéologique. Le parti Podemos rejette ouvertement cet héritage colonialiste. Son leader Pablo Iglesias n’a pas assisté aux cérémonies de Madrid. De même que le président de la Généralité catalane Artur Mas ou son homologue basque Iñigo Urkullu. Le parti conservateur au pouvoir a, lui, converti cet événement en journée de réaffirmation nationale; face aux séparatismes et à la crise de légitimité des élites politiques.

Résistance indigène

Pourtant, en Amérique latine, la diplomatie espagnole tente depuis longtemps de re-conceptualiser le jour de l’Hispanité comme une „rencontre entre deux mondes“. Non sans succès: en témoignent les festivités organisées un peu partout sur le continent. Mais, au Nicaragua, comme dans les autres pays latino-américains d’inspiration bolivarienne ou marxiste, le 12 octobre a été rebaptisé „Jour de la résistance indigène“. C’est lors de sa deuxième étape au pouvoir – en 2007 – que le gouvernement sandiniste a choisi de souligner symboliquement la „lutte des peuples aborigènes contre les envahisseurs espagnols“.

J’ai toujours senti une pointe d’hostilité et d’hypocrisie dans ce type de référence. Il y a quelques années, dans un bar de La Serena, un Chilien m’avait proposé de trinquer pour que nous puissions „surmonter les conflits de nos ancêtres“. D’apparence caucasienne, il ne devait pas y avoir beaucoup de sang indien dans ses veines mais il tenait à me rappeler toutes les exactions que „mon“ grand-père avait commis en Amérique latine.

Je m’étais alors senti obligé de lui expliquer que mes ancêtres étaient des paysans catalans qui n’avaient probablement jamais passé – à dos de bourricot – le village voisin. „Cherche bien du côté de généalogie, lui dis-je. Tu trouveras sûrement un ancien bagnard ravi de commuter sa peine en exil vers le nouveau monde.“

Il avait préféré ignorer ma remarque. Pas facile d’assumer le conquistador en lui. Les nationalismes latino-américains se sont en grande part construits autour d’un mythe de pureté originelle, uniquement bouleversé par la venue des hommes barbus montant à cheval. Le récit, eschatologique, débouche invariablement sur la libération nationale et une promesse de lendemains qui chantent. Rideau.

Partout, ce sont pourtant les métis qui ont conduit le processus de décolonisation. La situation des indigènes n’a, elle, guère évolué. L’historiographie préfère tourner le dos à une bonne part de l’héritage oppressif du continent.

Jour de la race

Au Nicaragua, le 12 octobre était auparavant célébré comme le „Jour de la race“. Pour le sociologue et ancien ministre de l’éducation Humberto Belli Pereira, il s’agissait de revendiquer la „création d’une identité nouvelle, produite par la fusion raciale et culturelle entre les peuples indigènes et les Espagnols“.

La notion de „race“ fait frémir l’Européen que je suis. Mais on me signale que la notion de „race cosmique“, théorisée par José Vasconcelos Calderón, représente le métissage ultime de toutes les ethnies, celui qui transcenderait toutes les différences. Reste encore une petite marge de progression à ce niveau. Mais je veux bien me laisser tenter par le concept. Je réponds présent au buffet canadien. J’amènerai un plat européen cuisiné avec des ingrédients centre-américains. Ou l’inverse. Peu importe.

 

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