Révolution permanente

„Seguimos cambiando Nicaragua“. Sur les panneaux publicitaires le long de la route de Masaya, Daniel Ortega salue une foule imaginaire dans une éternelle promesse de changement.

Depuis le cœur historique de Managua, la transformation est peu évidente. Oubliée depuis le dernier grand tremblement de terre, l’ancienne cathédrale en ruine attend patiemment son sort… depuis 43 ans. Ce midi, la place centrale vit au rythme des rares passants qui se risquent à braver le soleil. A l’ombre des arbres du parc voisin, trois vendeurs ambulants grillent nonchalamment quelques épis de maïs. Les touristes sont rares dans la capitale.

Inégalités en progression

La vie suit son cours dans la deuxième plus petite économie d’Amérique latine. Un peu plus de 6 millions d’habitants pour un PIB de quelque 11,8 milliards de dollars. Sept fois moins que Cuba, qui vit pourtant sous embargo commercial depuis 53 ans. La révolution sandiniste aura échoué à susciter du dynamisme économique au Nicaragua. Le revenu moyen mensuel y est de 156 dollars. En stagnation depuis 2012.

Les inégalités sont, par ailleurs, en progression en milieu urbain. Le coefficient de Gini – qui mesure la distribution de la richesse – est passé de 0,37 à 0,38 entre 2009 et 2014, selon les statistiques gouvernementales. Une première depuis dix ans. Au Nicaragua, quelque 200 familles ultra-riches possèdent chacune, en moyenne, 30 millions de dollars. Les revenus de ce groupe sont 12’197 fois plus élevés que ceux des 20% de familles les plus pauvres du pays, selon une étude d’Oxfam International.

Une nouvelle caste

En 2007, Daniel Ortega a mis en place un gouvernement de réconciliation et d’unité nationale. „A présent tous les riches du pays, les anciens comme les nouveaux, historiques ou corrompus, font partie de la même classe et des mêmes cercles sociaux“, dénonce un éditorialiste de „La Prensa“. A l’inverse, 29,6% de la population vit avec moins de 1,8 dollar par jour. Mardi, la Banque centrale du Nicaragua a pourtant publié une étude sur le niveau de vie des habitants saluant „la politique et les actions que le gouvernement a mis en place pour réduire la pauvreté.“ Mélange des pouvoirs, trafic d’influence, concentration des moyens de communication: le contexte politique n’invite guère à la critique.

Le clientélisme perpétue les inégalités. Pour tous les oubliés du système, le gouvernement n’a plus qu’un mot à la bouche: le canal. C’est ce projet de liaison transocéanique qui doit apporter, à moyen terme, la prospérité tant attendue. Chaque jour, la presse égrène des informations sur l’imminence du début des travaux. Cela fait deux ans et demi que ça dure. A la surprise de tous les observateurs, c’est le président du Conseil national des universités (CNU) Telémaco Talavera – un proche du président – qui a été désigné comme le porte-parole du projet. Dans ce pays sans classe moyenne, la richesse est distribuée par cercles concentriques.

Révolutionnaire caudillo

Le financement du canal est, lui, assuré par un obscur conglomérat hongkongais. L’ancien guérillero Daniel Ortega s’est rapproché de la Chine capitaliste et de la Russie poutinienne. La révolution n’est plus socialiste; elle est devenue danieliste. Elle n’a plus d’autre objectif que sa propre subsistance. La force d’inertie révolutionnaire.

Carlos Fernando Chamorro, ancien rédacteur en chef du journal du parti sandiniste Barricada, est devenu l’un des plus féroces critiques du pouvoir. En 2009, il expliquait au New York Times: „A l’époque, la guerre nous empêchait d’avoir des débats de fonds. Nous avions un sens de la loyauté envers la révolution. L’auto-censure était courante.“ Peu à peu, Chamorro s’est distancé de Barricada pour lancer sa propre émission de journalisme d’investigation: „La guerre, la bureaucratie; nous nous étions éloignés des gens ordinaires. Il fallait analyser pourquoi nous avions perdu tout cela.“

Après s’être arrangé avec la Constitution pour pouvoir se représenter aux élections, Daniel Ortega pourrait rempiler pour une quatrième étape gouvernementale. Le révolutionnaire devenu caudillo? Ou l’antonymie de la notion de Révolution permanente.

Adrià Budry Carbó

 

 

 

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